CERAMIQUE IONIENNE
VASES DE GRANDE CONTANCE
GÉNÉRALITÉS
 
 
Je comprends sous ce nom des vases très différents, dont le lieu exact de fabrication est encore incertain, mais que relient entre eux deux caractères: celui d'appartenir à une poterie plus courante, d'utilisation journalière, et celui d'avoir une commune et indéniable origine ionienne. Cet ensemble englobe ce que P. Jacobsthal et E. Neuffer appellent la Poterie courante ionienne [1] , E. Price, Pots with simple decoration,  generally bands of black paint on the clay ground et Pots with bands of paint on a white slip [2] , H. Prinz, Grobe Tonware [3] . Elle s'enrichit de plus à Histria de quelques fragments appartenant à des fabriques qui ne me paraissent pas connues jusqu'à ce jour.
Les restes de cette poterie trouvés dans nos fouilles comprennent, ainsi que partout ailleurs, des amphores, des œnochoés, des plats où assiettes, des coupes ou écuelles profondes. Comme à l'Héraion de Samos [4] et à Marseille [5] , on emploie généralement pour le décor un rouge brun ou rouge vif. Le noir qui n'est jamais franc, mais plutôt tirant sur le brun, s'y rencontre aussi, beaucoup plus rarement. La tendance à employer une couleur rouge, sensible dans toutes les séries d'Histria, s'affirme ici plus qu'ailleurs. On a déjà pensé que cette tendance est samienne; elle peut être aussi milésienne, comme nous le verrons plus loin.
En dehors de ces caractères communs à d'autres fouilles, nos trouvailles présentent deux particularités :
1. À l'encontre de ce qui se passe d'ordinaire et notamment à l'Héraion de Samos, les fragments de cette catégorie de vases, les amphores excepté, y sont relativement peu nombreux. Cela tient-il à ce qu'ils ont été trouvés dans des sanctuaires a Évidem­ment non, puisqu'on en a recueilli en grande quantité à l'Héraion de Samos. Peut-être est-ce un signe de la prospérité de notre ville, les riches marchands préférant les offrandes plus coûteuses? La proportion restreinte des œnochoés et petits récipients de cette catégorie semble autoriser cette conjecture.
Le second point est l'importance que prennent dans cette catégorie les grandes amphores. Ces vases qui se signalent par leur abondance et leur variété représentent plus des trois quarts de l'ensemble des fragments. Tandis que leurs débris forment des monceaux, à peine peut-on être sûr d'une centaine de petits vases, coupes ou assiettes. Entre les deux, les œnochoés, environ cent cinquante exemplaires occupent une place honorable quoique plus restreinte.
Les grandes amphores n'ont été trouvées qu'aux temples B et C. Le temple dit d'Aphrodite [6] n'a fourni que de rares fragments de poterie courante ionienne. De plus. on ne rencontre parmi eux aucun vestige de grande amphore. Ces récipients ne s'offraient dónc pas indifféremment à toutes les divinités.
Quelle peut être la raison d'un tel choix? Ch. Dugas, remarquant l'absence de grands vases à l'Héraion de Samos, explique ce manque par l'exiguité de l'édifice [7] . Et son opinion.est confirmée par le fait qu'à Histria les nombreux restes dont nous parlons, ont été précisément recueillis dans les deux sanctuaires qui paraissent avoir été très importants. Si nous ajoutons qu'à Délos et à Histria l'absence de grands récipients se constate dans deux temples consacrés à des déesses, nous serons peut-être bien près d'avoir trouvé la réponse. N'était-il pas naturel d'offrir de préférence à une divinité féminine des objets en rapport avec la toilette et la parure (vases à parfums, boîtes à bijoux ou à fards) et de réserver les offrandes plus utilitaires aux grands dieux? Il semble bien que les choses se soient passées ainsì à Histria.
Les vases, sauf de rares exemplaires semblent n'avoir jamais servi. Les offrait-on vides ou simplement remplis de grains, blé ou orge, richesses de la contrée et qui ne laissent aucune trace? On a parfois trouvé, au cours des fouilles quelques grains de blé désséchés. Cela n'infirme ni ne confirme la seconde supposition. Les récipients ont pu avoir été offert vides et neufs. D'ailleurs, il en est certai­nement ainsi pour un grand nombre d'œnochoés de la même catégorie. Or, ces vases de contenance moyenne n'auraient pas été remplis de grains.
Il est infiniment regrettable que nous ne soyons pas mieux renseignés sur la nature des deux dieux auxquels ce genre de vases était offert. Nous ne savons encore rien de celui du temple C. Le premier, celui du temple B, est probablement Apollon, lé dieu tutélaire, patron de la ville. Nous n'avons pour l'identifier ' que quelques indices, heureusement assez sûrs [8] .
L'épithète de « vaisselle ordinaire » que l'on donne parfois à la poterie ionienne ne doit pas prêter à confusion. Les Grecs, à de très rares exceptions près, soignaient leurs produits et cette catégorie céramique est loin d'être méprisable. L'art y trouve sa place; le goût et le soin apportés à la fabrication est une utile; i leçon. Chacune des fabriques que nous signalent nos fragments se distingue par des qualités particulières, très probablement voulues. Les unes par l'élégance de la forme, par leur décor, par une sorte d'onctuosité de l'argile que l'on ne retrouvera plus par la suite, attestent une origine dite «rhodienne». D'autres, au contraire, claires et sans décor, d'une pâte sèche et dure, mettent leur gloire dans la netteté comme métallique de leurs contours, le fini de leur polissage. Certain atelier pousse à l'extrême cette ressemblance avec le métal en recouvrant l'argile jaune pâle d'un engobe brun rougeâtre, à reflets violacés, qui fait penser an bronze ( fig. 122). Telle autre enfin, d'une forme plus trapue, avec son col orné de dessins géométriques, la bigarrure de sa panse. a quelque chose d'un peu étrange, qui nous rappelle sa possible origine lydienne ( fig. 94). Ainsi, chaque fabrique s'affirme par des particularités que complètent souvent des marques peintes ou incisées avant la cuisson:
Les œnochoés ioniennes n'ont pas à Histria la valeur documentaire des grandes amphores. Elles offrent le décor habituel constitué en grande partie par des bandes circulaires sur la panse. Seule l'épaule se permet quelque fantaisie: zigzags, traits ondulés, rosaces de points, grands S couchés. Les différences que l'on constate entre les vases proviennent de la nature de l'argile qui varie du brun au blanc presque pur.
Leur surface extérieure, comme celle des amphores, est presque toujours soignée et recouverte d'un enduit qui est soit une couverte légère [9] , faite de terre plus fine, soit un engobe épais et blanc, qui s'enlève comme une écaille et fait songer à cette pâte ayant I consistance d'une coquille d'œuf, qui était une spécialité lydienne [10] .
Quant aux coupes, assiettes ou écuelles, leur décor est simple el et se compose presqu'uniquement de bandes circulaires. En revanche, les argiles et les formes sont très variées. Du gris au blanc, toutes les variétés de terres s'y rencontrent: argile un peu grisâtre; argile rouge sur les bords, qui reste grise au milieu; argile jaune pâle et bien cuite. Il y a enfin une argile presque blanche, sur laquelle une couverte légère donne l'impression d'un épais engobe, utilisés par une fabrique qui aime un rouge vif, d'un heureux effet sur le fond blanc. À Histria, cette fabrique paraît spécialisée dans la fabrication des coupes ou écuelles.
Les formes sont aussi variées que les argiles. On trouve une grande diversité de profils, depuis l'écuelle profonde jusqu'à l'assiette plate. Si le raffinement d'un peuple se mesure à la diversité de ses besoins, c'est une preuve de plus du degré de civilisation auquel étaient parvenus les Ioniens.
 
 
VASES DE GRANDE CONTENANCE
 
 
A. -- LES GRANDES AMPHORES
l. - Catégorie recouverte d'un engobe blanc
Les grandes amphores à engobe sont moins nombreuses et pa­raissent plus anciennes que celles qui en sont dépourvues. Elles -gisent, en général - mis à part quelques petits fragments amenés près de la surface par les remaniements du terrain -, dans les parties profondes de la fouille. Elles sont les plus anciennes et paraissent avoir été apportées à Histria peu après la fondation de la ville, dans le troisième quart du VIIe siècle avant notre ère.
Comme il se conçoit, à cause de leur taille, ces grands vases n'ont été retrouvés qu'en fragments. Néanmoins ce qui nous reste de cols, d'épaules, d'anses et de fonds et surtout plusieurs grands fragments ( fig. 62, 63, 65) ont donné de suffisantes indications pour pouvoir reconstruire avec certitude certains d'entre eux ( fig. 64, pl. I, en couleurs; cf. fig. 66).
Les éléments de forme que nous possédons montrent trois caractéristiques: la concavité du col, la chute allongée de l'épaule, le diamètre très réduit de la base. La ligne du contour est d'une seule venue jusqu'à la base, sans pied apparent. Le fond du pied est plat ou légèrement creusé ( fig. 88 et 89). En aucun cas il n'est pointu, et je ne sais si ce svases méritent vraiment le nom de « Spitzamphoren » que leur ont donné Dragendorff [11] - et après lui H. Prinz [12] . Le pied vraiment pointu appartient à une autre catégorie d'amphores un peu plus récentes, sans engobe, et dont nous avons trouvé un fragment d'un beau travail au même endroit ( fig. 88 b). Ajoutons à ces caractères principaux de nos amphores leurs grandes dimensions, la longueur de l'anse qui, en raison de la chute de l'épaule, doit aller chercher très bas son attache inférieure, et l'existence invariable à l'embouchure d'un rebord arrondi comme un rouleau.
On rencontre par bonheur quelques amphores de ce type, et il est probable qu'il en existe encore beaucoup d'autres dans les colonies de Milet. Les indications les plus précieuses sont données par une amphore trouvée à Théra [13] , un grand fragment provenant de Daphné [14] seul publié parmi beaucoup d'autres, et une amphore complète de Naucratis [15]   malheureusement d'un' dessin assez défectueux. Ces amphores sont nombreuses à Naucratis et à Daphné [16] , où on les trouve dans les couches archaïques, ce qui leur assigne comme date le VIIe siècle. Il faut en rapprocher pour le type du décor une amphore, de Caeré et actuellement au Louvre, et une autre, trouvée aux environs de Marseille [17] , maintenant au Musée de la Société archéologique de Montpellier. On a également recueilli à Rhodes beaucoup de grandes amphores qui sont apparentées ànotre groupe par la forme ovoïde de la panse et par l'importance donnée au décor de l'anse [18] . Les unes et les autres appartient à la même famille grecque orientale.
            Le décor de notre groupe d'amphores à engobe offre des éléments qui prouvent que l'on se trouve en présence d'une fabrique bien déterminée. Le principe de ce décor est la grande importance accordée à l'ornementation de l'anse, avec l'emploi typique d'un ruban vertical qui descend parfois assez bas sur la panse. Cette manière de laisser pendre une ligne verticale et celle connexe de dépasser avec négligence un trait horizontal sans se soucier des bavures qui en résultent, sont de vieilles habitudes orientales que l'on retrouve chez les Mycéniens [19] , les Chypriotes et en général dans toute la céramique grecque orientale.
L'anse, à chacune de ses attaches, est ornée d'un cercle formé par un large ruban peint ( fig. 86 d). Un autre ruban couvre la partie supérieure de l'anse et descend sur la panse. Le rebord de l'embouchure est toujours peint. Le col n'a d'autre décor que les cercles qui entourent la partie supérieure de chaque anse; la partie antérieure est nue. Une bande circulaire marque la naissance de l'épaule. Sur l'épaule le décor est constitué par un enroulement qui a la forme d'un grand S couché, simple ou variant sur le même thème ( fig. 64). Sur la panse courent des bandes peu nombreuses, généralement quatre, jamais plus de cinq, dont trois sont parfois groupées au-dessous des anses et une ou deux plus bas. L'espacement des bandes sur la panse donne aux vases de cette fabrique un aspect particulier qui les différencient du groupe, pourtant si proche, de Rhodes. La bande de l'anse se prolonge jusqu'à la dernière bande circulaire où elle se perd.
L'argile de ces amphores est le plus souvent rosée avec des traînées grises, légèrement micacée. L'engobe blanc est parfois épais et luisant d'une belle qualité. La peinture est un noir brun, jamais un noir franc, qui est mat [20] sur certains fragments, lustré sur d'autres. Sur beau­coup de fragments la peinture est rouge selon une habitude courante à Histria. Une d'entre elles porte une d lettre incisées (marque de propriétaire ou de dédicant, fig. 184).
La grande quantité d'amphores de ce groupe trouvées à Naucratis et à Daphné - si l'on peut, comme je le crois, se fier aux descriptions - leur confère une origine ionienne certaine. Le fait qu'on ne les trouve ni à Vroulia, ni à Rhodes en général, relié à celui de leur présence en nombreux fragments à Histria rend fort probable l'attribution à Milet de leur fabrication [21] . Il semble bien que cette fabrique soit, à Histria, une de celles dont l'origine milésienne est la plus évidente. Je pense aussi avec Dragendorff que nous avons dans ces vases la première forme de l'amphore à vin, qui sera en vogue plus tard, cette fois véritablement pointue et véritablement rhodienne. Certains fragments très rares ont l'inté­rieur grisâtre et appartiennent à des récipients qui ont certainement apporté à Histria un bon vin de; Chios ou de Samos. Cependant, bien qu'elles soient élégantes et d'une notable capacité, elles durent se révéler peu pratiques. L'engobe nuisait-il au vin? La forme était-elle peu maniable? Toujours est-il qu'à Histria, et bien qu'elles y figurent surtout à titre d'offrande (voir p. 97), elles disparurent très tôt pour être remplacées par celles dont nous allons parler plus bas.
Le fragment d'embouchure n° bouchure de grande amphore. 10 ( fig. 70) fait présager à Histria l'existence d'autres fabriques usant de l'engobe blanc. Nous espérons arriver à découvrir assez d'indices pour pouvoir les caractériser un jour. D'ailleurs si, au lieu d'un compte rendu de fouilles, on faisait une étude générale des grandes amphores, il y aurait lieu de placer ici une catégorie intermédiaire où entreraient l'amphore de Montpellier [22] et celle du Louvre [23] , qui tiennent de la première par la forme et le décor, de la seconde par l'absence d'engobe. Mais, comme elles n'ont pas été trouvées à Histria, on ne peut que les signaler ici.
 
 
II. - Grandes amphores sans engobe
 
 
Les amphores sans engobe sont plus nombreuses comme il convient à une catégorie plus ordinaire. Leurs formes aussi sont plus variées. Mais le principe de leur décor reste le même que celui des amphores précédentes, ce qui paraît déjà à priori, une preuve de leur commune origine.
Ce sont de grands vases pansus, à l'épaule tombante, à base ètroite, avec ou sans pied apparent, comme dans la catégorie dont nous venons de parler. L'anse est plate, à profil ellipsoïdal. L'embouchure a un rebord rond, de même forme, mais un peu plus accentué que précédemment. Le col présente parfois un renfle­ment caractéristique. L'argile est finement micacée, rougeâtre à la surface qui paraît revêtue d'une mince couverte et reste souvent grise dans l'intérieur. Dans cette catégorie, la forme peut se modifier en partie, le col peut être plus ou moins renflé, mais l'argile, la technique et le système du décor restent invariables. De plus, on y constate l'emploi à peu près constant de marques peintes avant la cuisson.
Le système de décor est le même que précédemment : une bande peinte descend de l'anse vers la panse où elle rencontre les bandes circulaires qui marquent la limite de l'épaule; elle s'arrête à la bande inférieure, située sur la panse. L'embouchure et la base du col sont soulignées par une bande peinte. L'épaule a le même décor en forme de grand S couché.
Toutes les bandes ont la même largeur sur le même vase. Mais cette largeur varie d'un vase à l'autre, ce qui peut être le signe d'ateliers différents. Sur certaines amphores, elle atteint quatre centimètres, tandis que sur d'autres, elle est réduite à un mince filet. Il en résulte trois types de décor:
 
1.      Décor à mince filet (1 mm.): Types A1 et A2, cf. p suiv.
2.       Décor à bandes moyennes (un centimètre) : Type B.
3.      Décor à bandes larges (deux à quatre centimètres) : Type B.
 
Dans le cas où la bande est large, on a l'impression que le décorateur pensait à un ruban; ceci est sensible dans les figures 81 et 8.
Les bandes et les filets peuvent être doubles. Un exemplaire porte un filet noir allié à un filet rouge. Un autre montre de filet incisés au lieu d'être peints.
Le décor en S ne se rencontre jusqu'à présent que sur les amphores dont le décor est à larges bandes et dont, l'épaule limitée par une seule bande. Celles qui offrent un groupe de deux et trois bandes circulaires ont généralement libre le champ de l'épaule.
Dans ce système de décor, le col nu n'a plus même les deux cercles latéraux des amphores à engobe blanc. En revanche, il porte une petite marque peinte en noir mat avant la cuisson (voir fig. 71). De plus on s'aperçoit, en regardant de près cette partie des vases, qu'un décor variable y est souvent posé: ce sont des ornements en rouge mat, peints après la cuisson, et presque complètement disparus (voir fig. 73, 76 et p. 115).
La matière employée pour le décor est un rouge assez vif, mat. Par end roits, il devient noir ; il semble, au contraire de ce qui se passe habituellement, qu'ici le rouge tourne au noir dans certains cas. L'emploi d'un noir également mat est réservé aux marques. On ne le trouve que très rarement employé pour les bandes à la place du rouge.
Les cols et fragments de cols que nous possédons sont assez nombreux et caractéristiques pour que l'on ait pu d'après eux distinguer trois types d'amphores. Ils ont été reconstitués au trait, d'après les indications que donnent les anses et leur attache sur l'épaule.
 
Type A1
 
Nous ne possédons jusqu'à présent qu'un seul exemplaire de cette forme (p. 127, n° 1 et fig. 72). Mais elle tient de si près à la suivante ( fig. 73) dont elle paraît être le prototype, que le fait d'être un unicum à Histria jusqu'à présent me paraît être abso­lument fortuit. Il est impossible qu'on n'en ait pas trouvé ou qu'on n'en trouve encore soit à Milet, soit dans les colonies de Milet. Le fragment n° 1 indique une chute d'épaule analogue à celle d'une grande amphore de Théra ( fig. 90 c) [24] ce qui permet de reconstituer sa forme générale. Le col est très long et d'un galbe particulier. Le col des grandes amphores à couverte blanche s'incurvait. Celui-ci est renflé et paraît le chef de file d'une série d'amphores ( fig. 75) [25] dont la fabrication semble se prolonger pendant le Ve siècle.
L'argile est rosée, plus rouge à la surface, avec quelques traînées grises, bien cuite. Le col a le même rebord arrondi que dans la série à couverte et n'a pour ornement que la peinture du rebord et une marque posée sur chaque face et au milieu du col.
Le décor obéit au même principe que celui des amphores à couverte: bande sur l'anse descendant et retrouvant les bandes circulaires de l'épaule et celle de la panse. Ce fragment utilise le système de décor à filets et emploie une couleur brun mat, parfois rougeâtre. D'après la longueur du col et la forme générale, le vase devait avoir approximativement de 0m 80 à 0m 90 de hauteur.
 
            Type A 2
 
Ce type n'est guère qu'une variante du premier; parce que plus courant, il paraît être le type normal.
A 1 ne diffère de A 2 que par la longueur du col. Les autres caractéristiques sont identiques : même renflement du col, même bord rond à l'embouchure, même anse à coupe ellipsoidale, même chute rapide de l'épaule, même type de décor employant le rouge brun mat, même préférence pour les raies fines qui sont la règle dans les deux cas. On en a trouvé de nombreux fragments qui, d'après les circonstances de la fouille, montrent que la vogue de ces amphores à Histria correspond aux premières années du VIe siècle.
Comme le vase du type A 1, elles portent des signes que l'on peut généralement interpréter comme des marques de fabrique (voir p. 212). Ces marques sont peintes, en un noir épais et mat, et posées avant la cuisson. On en distingue plusieurs dans cette catégorie: marque au cercle, aux deux cercles, aux trois cercles, avec ou sans point central (voir chap. VII, fig. 178 à 181).
            Ainsi que nous l'avons déjà dit pour le type A 1, le lieu de fabrication de ces vases est sans doute Milet et il est probable qu'on doit les rencontrer en bien des points du monde antique. C'est ainsi que j'ai trouvé au Céramique d'Athènes un fragment d'embouchure appartenant à une amphore identique à celles du type A 2 (même argile, même forme, même décor) [26] . Á Histria, la valeur d'offrande de ces vases est affirmée par le caractère dont nous avons déjà parlé et sur lequel nous reviendrons plus loin, c'est-à-dire la présence d'un signe ou ornement de fantaisie qui s'ajoute à la marque habituelle. Des restes de ces signes, devenus à peu près indiscernables se rencontrent sur presque tous les fragments trouvés, ce qui prouve une habitude constante.
 
 
Autres formes
 
Certaines embouchures d'amphores montrent, - quoique très dégénéré, - la persistance du type à col renflé ( fig. 75 et 195) Les amphores de ce type paraissent plus tardives, sans dépasser de beaucoup le milieu du Ve siècle. Leur technique est inférieure à celle des précédentes, mais l'argile est la même. On n'a trouvé de ce groupe que les quelques fragments d'embouchure que nous signalons ici.
 
 
 
 
Type B
 
            Le second type est d'une forme beaucoup plus courante. Il diffère des précédents par l'argile qui est rouge à noyau gris bleu, et par la forme qui comporte un col plus court et sans renflement, un rebord parfois rond, mais plus volumineux que précédemment ( fig. 77), parfois plat et débordant ( fig. 78), une ligne d'épaule plus proche de l'horizontale, donc des anses plus courtes. L'ensemble dénote une forme plus trapue. Comme telle, elle se rapproche de certains types trouvés à Samos [27] et à Théra, et en général de celle des amphores ioniennes de dimensions moyennes. Mais quelles que soient les particularités de la forme, le décor obéit au même prin­cipe que précédemment. La seule nouveauté consiste dans l'emploi de la bande large et d'un décor sur l'épaule, S ou enroulement.
De même que sur les amphores du type A 2, on trouve souvent sur le col des marques peintes d'un caractère particulier. Les deux cols les plus complets nous ont donné deux ornements, l'un en forme de croix ( fig. 76), rapidement tracé, peint avant la cuisson, - ce qui est rare, l'autre ( fig. 78 et 79) un décor de trois feuilles renversées. Sur presque tous les autres fragments on distingue encore des traces de peinture rouge posée après la cuisson.
 
III. - Nature des signes particuliers à ces amphores
 
Tout d'abord ils ne sont pas des marques de fabrique (cf. p. 211), puisqu'ils s'ajoutent à celles que l'on doit bien souvent interpréter comme telles ; ils ont donc un autre but. D'autre part, ils ont un caractère hâtif, soit par le fait qu'ils sont peints après la cuisson, soit parce que leur exécution est rapide et souvent négligée. Leur caractère surajouté est sensible même dans la décoration la mieux exécutée, celle de la figure aux trois feuilles renversées [28] . Pour rendre le décor. plus visible, on a cerné les contours et répandu sur la surface une sorte d'enduit qui ressemble à un lait de chaux et que l'on du nom d'engobe. Ces constatations nous conduisent à l'explication qui semble la plus probable. On se souvient de l'interprétation que Cecil H.Smith a donné de certaines inscriptions des vases de Naucratis:


[1] Jacobsthal et Neuffer, Gallia Graeca, II, p. 8.
[2] E. Price, East Greek Pottery, groupes II A et II B, p. 3 et 5
[3] Prinz, groupe II: Grobe Tonware, p. 84 – 87.
[4] Technau, p. 30, et Jacobstahl et Neuffer, ouvr. cité, p. 10
[5] Vasseur, pl. V et VII.
[6] Cf. Appendice IV.
[7] Délos, X, p. 4
[8] Cf. Appendice IV
[9] Cf. Appendice XII
[10] D. G. Hogarth, Pottery of Asia Minor, dans CVA, Classification 7, p. 5.
[11] Dragendorff, Thera, II, p. 229.
[12] Prinz, p. 86.
[13] Dragendorff, Thera, II, p. 228, fig. 425 c
[14] Flinders Petrie, Tanis, II, pl. 36, n° 5
[15] Naucratis, I, pl. 16,
[16] Naucratis, I, p. 23; Thera, II, p. 229.
[17] E. Pottier, Vases antiques du Louvre, I, pl. 30 D 40 ; Jacobstlial et Neuffer, Gallia Graeca, p. 10, note 1 et fig. 2.
[18] Clara Rhodos, III, pl. III, tombeaux CXXXVI, CIX, CXII, CXLII CXXXIV, CXXXIX, CXI, LXXXI, CXVIII, CXXXI, CII, XCV, CXII, CXIV, CV, CXXX, etc
[19] Voir par exemple le vase sumérien de Kofajè, Ill. London News, 14 sept. 1935; l'amphore mycénienne (L. M. III) de Munich, Jacobsthal, Ornamente, pl. I I b, p. 21 ; Vroulia, pl. 25, 10 et pl. 39, 11, 6
[20] Voir, par exemple Clara Rhodos, III, pl. III, CXXXVI.
[21] Je n'ai malheureusement pas de renseignements sur leur présence ou non à Milet même. Mais il est vraisemblable d'y supposer l'existence.
[22] Jacobsthal et Neuffer, Gallia Graeca, p. 2
[23] E. Pottier, ouvr. cité, pl. 30, p. 40
[24] Thera, II, p. 228, fig. 425 c; forme analogue dans Naucratis, I, pl. XVI, 4 (à l'exception du col).
[25] Cf. Naukratis I, pl, XVI, 7.
[26] Cf. Appendice XIII
[27] Boehlau, p. 34, fig. 21.
[28] 1 Cf. le n° 5 de la description (p. 129) pour la signification de ce motif.